3 de dezembro de 2010

Le testament de Tibhirine

Eis o testamento de Christian de Chergé, prior de Tibhirine, o mosteiro protagonista do filme "Dos homens e dos deuses", que referi aqui no blog recentemente.


Quand un à-Dieu s'envisage


S’ il m’arrivait un jour - et ça pourrait être aujourd’ hui -
d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant
tous les étrangers vivant en Algérie,
j’aimerais que ma communauté, mon Eglise, ma famille,
se souviennent que ma vie était DONNEE à Dieu et à ce pays.
Qu’ils acceptent que le Maître Unique de toute vie
ne saurait être étranger à ce départ brutal.
Qu’ils prient pour moi:
comment serais-je trouvé digne d’une telle offrande ?
Qu’ils sachent associer cette mort
à tant d’autres aussi violentes
laissées dans l’indifférence de l’anonymat.
Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre.
Elle n’en a pas moins non-plus.
En tout cas, elle n’a pas l’innocence de l’enfance.
J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal
qui semble, hélas, prévaloir dans le monde,
et même de celui-là qui me frapperait aveuglément.

J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité
qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu
et celui de mes frères en humanité,
en même temps que de pardonner de tout cœur
à qui m’aurait atteint.
Je ne saurais souhaiter une telle mort.
Il me paraît important de le professer.
Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir
que ce peuple que j’aime soit indistinctement
accusé de mon meurtre.
C’est trop cher payer ce qu’on appellera,
peut-être, «la grâce du martyre»
que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit,
surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’Islam.
Je sais le mépris dont on a pu entourer
les Algériens pris globalement.
Je sais aussi les caricatures de l’ Islam
qu’encourage un certain islamisme.
Il est trop facile de se donner bonne conscience
en identifiant cette voie religieuse
avec les intégrismes de ses extrémistes.
L’Algérie et l’Islam, pour moi, c’est autre chose,
c’ est un corps et une âme.
Je l’ai assez proclamé, je crois,
au vu et au su de ce que j’en ai reçu,
y retrouvant si souvent ce droit-fil conducteur de l’Evangile
appris aux genoux de ma mère, ma toute première Eglise,
précisément en Algérie, et déjà,
dans le respect des croyants musulmans.
Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison
à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf, ou d’idéaliste:
«Qu’il dise maintenant ce qu’il en pense!»
Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée
ma plus lancinante curiosité.
Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu,
plonger mon regard dans celui du Père,
pour contempler avec lui Ses enfants de l’Islam
tel qu’Il les voit
, tout illuminés de la gloire du Christ,
fruits de sa Passion, investis par le Don de l’Esprit
dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion
et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences.
Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur,
je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière
pour cette JOIE-là, envers et malgré tout.
Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie,
je vous inclus bien sûr, amis d’ hier et d’ aujourd'hui,
et vous, ô mes amis d’ ici, aux côtés de ma mère et
de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs,
centuple accordé comme il était promis !
Et toi aussi, l’ ami de la dernière minute,
qui n’ auras pas su ce que tu faisais.
Oui, pour toi aussi je le veux, ce MERCI,
et cet «A-DIEU» en-visagé de toi.
Et qu'il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux,
en paradis, s'il plait à Dieu, notre père à tous deux.
AMEN !
Incha Allah !

Alger, 1er décembre 1993
Tibhirine, 1er janvier 1994

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